jeudi 20 novembre 2014

« Rocas de Santo Domingo » : berceau de la DINA classé monument national

Bâties sous l’administration du Président Allende, constituantes d’un réseau de sites de vacances voué aux travailleurs tout au long du Chili, les cabanes de « Rocas de Santo Domingo » ont été spoliées suite au putsch de septembre 1973 et destinées à l’enfermement, la torture et la mort des dissidents. Photo Cmn.
Le Conseil des monuments Nationaux du Chili (CMN) a classé le 12 novembre 2014 les installations de l’ancienne caserne « Rocas de Santo Domingo » au titre des monuments nationaux. Situé sur la région balnéaire du littoral central, 130 km à l’ouest de Santiago, le lieu a été l’un des premiers camps de concentration de la dictature militaire qui en a ouvert plusieurs tout au long du pays, et le premier centre d’entrainement pour les sbires de la DINA, la sinistre police secrète de Pinochet.

Très proche de la caserne d’ingénieurs militaires de « Tejas Verdes », le site
un ensemble de 14 cabanes au bord de la mer construit en 1971 pour accueillir des colonies de vacances des travailleurs, avait été confisqué par l'armée en 1973 et destiné à l’internement et la torture de prisonniers politiques, puis à l’hébergement des militaires et policiers venus en stage de tout le pays.

Dès septembre 1973 le lieutenant-colonel Manuel Contreras, alors directeur du régiment-école d’ingénieurs militaires « Tejas Verdes », s’est emparé du site de vacances voisin et l’a annexé à sa caserne. Du jour au lendemain et sous la garde de troupes fortement armées, le camp de vacances des syndicats a été transformé en camp de concentration pour prisonniers politiques, avec des baraquements et latrines, miradors et barbelés.
Manuel Contreras Sepúlveda, lieutenant colonel
et chef militaire sur la côte centrale lors du putsch
de septembre 1973. Il a saisi le site de « Rocas de
Santo Domingo » et en a fait un camp d'instruction
pour tortionnaires. C’était le berceau de la DINA.

Un grand ensemble concentrationnaire s'est ainsi constitué autour du régiment « Tejas Verdes », associé  au parc de matériels de la caserne école (Camp 1), et aux cabanes de « Rocas de Santo Domingo » (Camp 2), tous très proches et reliés par un pont. Des dirigeants politiques et syndicaux, des travailleurs du port et des fonctionnaires, des femmes au foyer et même des lycéennes de toute la région ont été alors emprisonnés à « Rocas de Santo Domingo ».

On a estimé à près de 2000 le nombre de prisonniers passés par ce centre d’interrogatoire et de torture. Capturés par des patrouilles militaires selon les indications de l’appareil de renseignements de Manuel Contreras, les détenus
hommes et femmes, étaient amenés au camp et parqués dans l’une ou l’autre des deux sections. Brutalement frappés dès leur internement, ils étaient entassés dans les baraquements en attente d’être extraits et conduits aux interrogatoires, qui avaient généralement lieu à la caserne école « Tejas Verdes », dans le sous-sol du mess des officiers.

À cet endroit, les prisonniers subissaient pendant des jours et des semaines des atrocités sans nom : tabassés en permanence, pendus nus, brûlés au fer à repasser, écorchés, violés et systématiquement soumis à des décharges électriques, dans le but de leur extorquer des aveux ou les forcer à trahir leurs proches. Très souvent, ces traitements se passaient en présence des parents des victimes, devant l’époux ou l’épouse.  

Le sous-sol du mess des officiers de « Tejas Verdes », avec son annexe « Rocas de Santo Domingo », sont considérés le véritable berceau de la DINA, l’endroit où Manuel Contreras et ses plus proches collaborateurs ont expérimenté et mis au point toutes sortes de supplices et des techniques d’annihilation des opposants.
Plan du camp de concentration annexe à la caserne
d’ingénieurs militaires « Tejas Verdes ». Dessin de
« Tejas Verdes, journal d’un camp de concentration
au Chili
», Hernán Valdés, Ariel, Barcelone, 1974.
Entre 400 et 500 agents de la police politique ont été formés dans ce centre aux techniques de torture et d'extermination de prisonniers politiques, et parmi eux plusieurs des plus féroces bourreaux de la DINA, comme Basclay Zapata, Miguel Krassnoff Marchenko, Marcelo Morén Brito, Ingrid Olderock, Raúl Iturriaga Neumann, Ricardo Lawrence Mires, Cristián Labbé, Jaime Lepe Orellana et Cristoph Willeke Floel.

Ces officiers ont opéré pendant des années dans différents sites clandestins de torture et commandé
aussi par la suite des brigades d’extermination. Plusieurs sont devenus des « formateurs » de nouveaux tortionnaires. Actuellement ils sont pour la plupart mis en cause ou condamnés dans des dossiers concernant les pires massacres et barbaries commises sous la dictature.

Durant les dernières années, l’armée a furtivement démantelé le camp et a cherché —comme dans d’autres sites de détention et de torture dont elle a gardé le contrôle tout au long du pays—, à raser les installations et à effacer les traces des atrocités commises.

Pour le classement du site, le Conseil des Monuments Nationaux
organisme technique d'État sous la tutelle du ministère de l’Éducation, a procédé à diverses consultations et a auditionné plusieurs témoins, des anciens prisonniers politiques et survivants des camps, ainsi que le journaliste et chercheur Javier Rebolledo, auteur d’une remarquable enquête sur le berceau de la DINA dans la côte chilienne. Cette décision marque la volonté de rendre au patrimoine national commun ce lieu chargé d’une lourde part de l’histoire récente du pays, et de le transformer en espace de mémoire et de promotion des Droits de l'homme pour les nouvelles générations.